Rhaenys n'avait pas véritablement réagit à la nouvelle. Âgée de onze ans, elle ne comprenait simplement pas ce qu'il se passait. Des gardes étaient venu la chercher alors qu'elle lisait avec Freyja. Malgré les vives protestations de l'aînée, ils entraînèrent la petite fille sans cérémonie, ni douceur. L'enfant, furieuse d'être traitée ainsi, se débattait furieusement, donnant coups de pieds et coups de poings avec toute la force qu'elle possédait. Cela fut en vainc. Toute entière à ses gesticulations, elle n'aperçu pas, au loin, le gibet qui l'attendait. Toute la cour était présente. A l'exception de Rhaenys, un silence de plomb assombrissait l'après-midi chaleureuse de cette journée estivale. Tant bien que mal, les gardes entraînèrent l'enfant à travers la foule, qui refusait de s'écarter à leur passage. Brisant l'inquiétant silence, une dangereuse agitation s'éleva, des murmures, de plus en plus agressifs, pareils à des sifflements de serpents, se faisant entendre tout autour d'eux. Des bousculades, des insultes, des menaces inquiétaient les gardes, qui se rendirent compte qu'ils étaient complètement au milieu de la foule, sans espoir de faire demi-tour. Les mains sur les fourreaux de leurs épées, ils vociférèrent des ordres. L'enfant était devenu silencieuse. Elle semblait avoir réalisé la gravité de la situation et suivait mollement le mouvement, sans plus se débattre, pétrifiée. Minuscule, elle ne voyait rien mais entendait les murmures. Elle commença à tirer sur le bras du garde qui le maintenait, le suppliant de faire demi-tour, que quelque chose n'allait pas, qu'il fallait partir, fuir. Le garde, lassé des jérémiades de la princesse déchue, la frappa de son poing d'acier. Pareille à une poupée de chiffon, elle s'effondra au sol, trop choquée pour réagir, pour pleurer, pour crier.
Ce fut comme un signal. Immédiatement, la foule se déchaîna, se jetant sur les gardes avec une violence sauvage. Écarquillant les yeux, Rhaenys cru qu'elle allait se faire piétiner mais, brusquement, un bras la tira, la forçant à se relever avant de l'entraîner loin du chaos. Elle eu le temps d'observer des gardes transpercer des gens de leurs épées avant qu'elle et son sauveur ne s'engouffre dans une ruelle désertée. Le bras endolori, elle tira brusquement dessus pour se dégager, exigeant que l'homme l'emmène à son père. L'homme ignora ses ordres, l'intimant au silence. Une éternité sembla passer. Des cris se faisaient encore entendre, mais moins fortement. Des renforts étaient venu en aide aux gardes submergés et tentaient de remettre de l'ordre dans ce chaos. Ils n'avaient pas encore réalisé l'absence de la princesse. L'homme profita de cette occasion. Saisissant une nouvelle fois l'enfant malgré ses protestations, il entraîna à travers un dédale de rues, durant ce qu'il sembla être des heures. Enfin, ils parvinrent au port de Draakden. Ils se faufilèrent jusqu'à un large navire aux voiles si colorées que Rhaenys, muette d'émerveillement, en oublia brièvement son mécontentement et sa peur. Clandestinement, ils embarquèrent le navire qui, quelques heures plus tard, quitta le port de Draakden pour traverser la Mer Étoilée. Le trajet fut long et pénible. Rhaenys était silencieuse, suivant l'homme partout comme une petite ombre, même si elle ne connaissait pas même son nom. Peu importait. Lui-même ne l'appelait jamais Rhaenys. Toujours "gamine" ou, lorsqu'il était irrité, "toi" et guère davantage.
Le bateau arriva enfin au port de Ezedal. Avant de pouvoir quitter le bateau, cependant, Rhaenys dû encore attendre, à son plus grand désarroi. L'homme coupa ses cheveux argentés très courts et lui donna des vêtements de garçon, pour que nul ne puisse reconnaître la petite princesse perdue. Elle demeura avec l'homme durant une année. Jamais elle ne l'appela père et il l'en remercia. Leur relation avait évolué au fil du temps, bien qu'aucun des deux ne voulu l'admettre. Accoutumés à la présence de l'un et de l'autre, ils se faisaient confiance. C'était aussi simple que cela.
Cependant, leur tranquillité n'était pas faite pour durer. Si les deux observaient la plus stricte prudence et ne communiquaient presque avec personne, le danger rôdait toujours à proximité. Alors que l'homme, tous les soirs, rentrait la même heure sans une minute de retard, il manqua, un jour, à l'appel. Rhaenys, dévorée par l'inquiétude, n'osait pas bouger. Elle demeurait immobile, recroquevillée dans la petite pièce qui leur servait de refuge, sans savoir que faire. Au bout de quelques jours, la faim eu raison d'elle et elle se décida à sortir. Elle n'avait pas eu de nouvelle et n'osait imaginer ce qui avait bien pu lui arriver. Pour se nourrir, elle n'eu d'autre choix que de voler, se faufilant à travers les petites ruelles avec la rapidité d'un chat. Parfois, des prostitués, vivant dans un bordel voisin, l'aidaient du mieux qu'elles le pouvaient, prenaient soin d'elle, la coiffaient, la lavaient et l'habillaient. Mais l'enfant était terrifiée à l'idée de dépendre de quiconque et gardait toujours une distance prudente auprès des gens, même les mieux attentionnés. Ses vols, cependant, finirent par la faire remarquer par les gardes d'Ezedal. Un jour, ils parvinrent à la capturer. Ils lui laissèrent un choix, pour éponger sa dette envers le royaume : perdre sa main ou l'esclavage. Elle garda sa main.
Haven't I fallen far enough?
Les années passaient et les souvenirs s'évanouissaient. Elle ne pouvait plus se souvenir du visage de sa mère, ni de son père, du palais, de Draakden. Seul son quotidien épuisant l'occupait. Avantagée par son physique atypique, ses yeux lilas et sa chevelure argentée, une riche famille d'Ezedal la recueilli. La journée, elle cavalait dans toute la ville, apportant des messages ou accompagnant la Dame faire des courses ou des affaires. Si elle était chanceuse, elle pouvait même aller dehors en l'attendant, où elle retrouvait des amis, des esclaves eux aussi, à peu près du même âge qu'elle. Elle se lia particulièrement d'amitié avec un jeune garçon du nom de Daario, qu'elle admirait pour son courage et qui la faisait rire, même lors des jours les plus difficiles. Les maîtres de Rhaenys, cependant, attirèrent les foudres des roi et reine d'Ezedal et, alors qu'un semblant de normal semblait se profilait, le chaos reprit le contrôle de sa vie. Une nuit, alors que toute la maisonnée était endormie et que Rhaenys se préparait à se faufiler pour retrouver Daario, des gardes défoncèrent l'épaisse porte en bois qui gardait la cour A moitié réveillés, la famille fut massacrée, ainsi que les gardes et les servants. Femmes, hommes et enfants, aucune pitié ne leur fut accordée. Rhaenys, tétanisée de terreur, avait tout vu. Un garde l'aperçu, l'interpella avant de se lancer à sa poursuite. Retrouvant brusquement la capacité de bouger, Rhaenys prit la fuite, à travers la ville d'Ezedal, poussant tout sur son passage, quittant ce qu'elle avait connu toutes ces dernières années sans rien prendre avec elle. Elle ne s'arrêta de courir qu'après ce qui lui sembla des heures, lorsque l'épuisement la fit trébucher.
IF I LOOK BACK, I AM LOST
IF I LOOK BACK, I AM LOST
IF I LOOK BACK, I AM LOST
Durant ce qui lui sembla être une éternité, elle erra. Sans destination, avec pour seul objectif de mettre le plus de distance possible entre elle et Ezedal, elle et la mort. Elle avait bien tenté d'y retourner, sous un déguisement, avant de se raviser en entendant deux marchands discuter, aux portes de la ville. Une esclave était recherchée. Elle aurait massacré ses maîtres, jusqu'au dernier. Avec horreur, elle réalisa qu'ils parlaient d'elle, qu'elle était accusée de ces meurtres. Elle fit demi-tour sans demander son reste. La peur la tenaillait, bientôt rejoint par la faim, une faim atroce, qui la vidait de ses forces. Si la ville d'Ezedal n'avait plus de secret pour elle, qu'elle savait s'y débrouiller par ses propres moyens, le Désert Rouge était une autre affaire. Bien des voyageurs aguerris évitait ce lieu, pour sa dangerosité et surtout les grandes distances qui séparaient les villes. La cruauté du soleil, le sable brûlant et les nuits glaciales rendaient sa marche difficile mais elle continuait, pas à pas, de progresser, tant bien que mal. La soif eu cependant raison d'elle. Les lèvres abîmées, la respiration sifflante, elle s'effondra au sol, ses yeux vitreux se posant sur le ciel d'un bleu désespérant et qui l'emplissait d'une rage qu'elle n'avait plus la force d'exprimer. Alors qu'elle se laissait mourir, que ses paupières se refermaient, une ombre passa, puis deux puis trois. Fronçant les sourcils, la jeune fille rouvrit tant bien que mal les yeux avant de se sentir soulevée avec une étonnante douceur. Incapable de faire le moindre mouvement, elle n'eu d'autre choix que de se laisser faire tandis qu'elle était amenée jusqu'à une tente à la fraîcheur délicieuse et au confort irrésistible. Elle demeura endormie durant trois jours, s'éveillant brièvement pour boire des quantités astronomiques avant de se rendormir tout aussi rapidement.
A son réveil, elle fut bien surprise d'être vivante. L'esprit encore flou, elle ne se souvenait que de la chaleur insupportable, et de la soif douloureuse qui l'affaiblissait. Les muscles endoloris, elle se releva tant bien que mal, observant tout autour d'elle avec autant de curiosité que méfiance. Elle était recherchée et n'osait imaginer le sort qui l'attendait si, un jour, était capturée. Une femme entra dans la tête. Grande de taille, la peau sombre recouverts de tatouages à l'aspect complexe, elle posa un regard intéressé sur la jeune fille qui fronça les sourcils. Elles avaient les mêmes yeux, de ce violet si particulier. Rhaenys ne prononçait pas un mot, aussi la femme se décida finalement à rompre le silence. Elle se nommait Nymeria et avait beaucoup entendu parler d'elle. Lorsqu'elle prononça son nom, Rhaenys, cette dernière sentit l'adrénaline monter en flèche. Elle s'imaginait déjà retourner dans la foule, cette foule qui hantait encore ses cauchemars, même après des années. Nymeria, cependant, la rassura. Elle n'était envoyée de personne. Elle partageait un père, lui apprit-elle, et avaient toutes deux souffert par sa décision. Rhaenys ne la cru pas immédiatement, ce qui ne surprit. Des nuits durant, elles discutèrent, Rhaenys demeurant le plus souvent silencieuse, avant de, peu à peu, s'ouvrir à son tour. Nymeria vagabondait avec un petit groupe de mercenaire composé d'esclaves affranchis, la Compagnie des Marqués. Rhaenys en avait entendu parlé : ses anciens maîtres les détestaient. Ils étaient séparés du groupe principal, envoyé en mission ailleurs, lorsqu'ils l'avaient trouvé, à moitié morte dans le désert. Elle était désormais sous la protection de Nymeria. Rhaenys l'écoutait sagement, ses yeux s'emplissant d'émerveillement lorsqu'elle lui parlait de la Compagnie des Marqués, de leurs voyages extraordinaires à travers les pays, les continents, les mondes, même. Elle arrivait à peine à y croire. Elle s'imaginait déjà, comme Nymeria, être une redoutable guerrière. Grâce au récit de cette soeur perdue et retrouvée, elle se souvint des Satrinava, des enseignements de sa mère, des longues balades à dos de dragon. Elle en était sûre, si elle avait eu un dragon, personne n'aurait jamais osé la violenter, ni même l'abandonner. Nymeria lui présenta tous les membres de son petit groupe, et tous en vinrent à apprécier la jeune fille qui, se sentant profondément redevable, faisait tout pour leur rendre service. Ils voyageaient lentement, sans forcer, à leur rythme, Nymeria désirant montrer des villes à la princesse. Ils n'étaient cependant pas les bienvenus partout. Enrichis à force de l'esclavage, nombre étaient les villes qui n'appréciaient guère leur objectif. Mais Nymeria, arrogante, ne s'en inquiétait jamais. Bien qu'une dizaine seulement, le groupe ne semblait avoir peur de rien. Là fut leur erreur. Alors qu'ils demeuraient près de la grande ville Estal, des soldats les encerclèrent. Croyant le groupe dirigé par les hommes, ils les massacrèrent avant de capturer les femmes et les emmener avec eux. Nymeria, folle de douleur, les massacra, un à peu. Seules survivantes, elle continuèrent leur marche, jusqu'à la grande cité d'Ollyrah.
A Ollyrah, elles furent accueillies par les gardes royaux. La situation, à l'intérieur de la ville, était chaotique. Des corps jonchaient le sol, des têtes, sur les piquets, étaient visibles et une odeur de mort parcourait les rues. Devant leur question, les gardes expliquèrent seulement que la ville devait d'être conquise par le nouveau roi, qui répondait du nom d'Ivar. Nymeria en avait entendu parler. Il venait d'Ovrenem, des pays du Nord. Au vu du nombre de blessés, que ce soit parmi la population et les soldats, les gardes leur annoncèrent qu'elles ne pourraient demeurer ici trop longtemps, à moins qu'elles ne désirent entrer au service du jeune roi. Nymeria refusa froidement. Rhaenys, épuisée, observa longuement Nymeria avant d'accepter. Blessée de sa décision, Nymeria partit sans un autre mot tandis que les gardes emmenaient la jeune fille devant le roi. Il était assit sur un trône à moitié brisé, dans une salle obscure, aux murs de pierre effondrés. Un sourire traversa les lèvres d'Ivar lorsqu'il vit Rhaenys.
I loved a maid as white as winter
with moonglow in her hair.
Ollyrah fut reconstruite. Lentement, étape par étape. Les survivants, ceux qui avaient ployé le genoux devant leur nouveau roi, devant le conquérant. Ceux qui refusaient furent condamnés à mort. L'exil fut envisagé mais Ivar déclina : l'exil encourageait à aller chercher du renfort, des armées, des mercenaires et il n'avait nullement l'intention de perdre un tel temps ni de perdre de ses hommes. Il se montra patient, conscient que son règne était encore fragile et que pousser la population à bout n'amènerait qu'à de la résistance. Il venait des royaumes du Nord, d'Ovrenem, dont il avait fait la conquête. Mais, l'esprit toujours vers la bataille, il avait voulu pousser jusqu'à l'Est, ce qui l'avait emmené jusqu'à Ollyrah, dont il avait désiré la possession. Le Désossé, bien que profondément handicapé, était redoutable, aussi bien politiquement que sur le champs de bataille. Craint et respecté de ses hommes, le sentiment paru se propager à travers la grande cité qui, peu à peu, timidement, se repeuplait, encouragé par son commerce florissant. La stabilité était une chose fragile, que le moindre acte imprudent pouvait réduire à néant. Pourtant, Ivar parvint à établir l'ordre, à obtenir le respect, malgré son statut d'étranger et d'infirme. Au bout de quelques mois, des seigneurs, le coeur empli d'espoir et d'ambition, présentèrent au jeune roi leurs filles, leurs soeurs, de manière innocente puis, plus franchement, en tant que possible épouses. Il faudrait bien, après tout, que le roi se marie, s'il voulait donner à son nouveau royaume un héritier. Ivar ne pouvait nier la sagesse intéressée de ces paroles.
Son regard, néanmoins, ne se porta pas sur les jeunes filles de noble naissance qu'on lui avait amené, mais sur Rhaenys. Il aurait été sot de prétendre qu'il n'avait pas retenu les traits spécifiques de la famille Satrinava. Il avait entendu parler de la disparition de l'enfant depuis plusieurs années déjà - la plupart des gens la supposaient morte. Sans prendre la peine de poser de question, Ivar s'était fait une petite idée de son parcours et, si tous les détails n'étaient pas correct, il était certain d'une chose : ils étaient tous deux des survivants. Plus encore, elle était issue d'une lignée plus noble que n'importe laquelle de celles qu'on lui avait proposé. Elle était une épine dans le pied des Satrinava restant, de ceux qui régnaient à Draakden, qui la pensaient morte. Aux yeux de Ivar, tout cela ne représentait que des avantages. Il ferait de cette jeune fille à l'apparence frêle une arme, contre des ennemis, contre ceux qui oseraient le défier de quelque manière que ce soit. Son esprit fourmillait déjà d'idées, de plans. Il annonça son union, sans rien expliquer de ses idées, pas même à la principale concernée. Les nobles d'Ollyrah n'apprécièrent pas l'affront, bien au contraire. A leurs yeux, elle n'était qu'une étrangère. Ils voyaient, sur sa nuque, son tatouage en forme de rose, signe de son esclavage et la méprisaient pour sa basse naissance. Ils n'osèrent cependant rien dire, pas en présence d'Ivar et, même dans son dos, tant le jeune homme inspirait la peur. Âgée de 16 ans, Rhaenys épousa Ivar.